Pour répondre avec certitude à cette question, il faut :
- Faire tester votre sol
- Vérifier si le phosphore de votre sol ne serait pas plutôt bloqué qu’absent
Les plantes contiennent du phosphore et en ont besoin pour leur développement. Dans le cycle naturel, la décomposition de la plante retourne le phosphore dans le sol. Pour les vivaces, les arbres et les arbustes, l’ajout régulier de paillis et de compost devrait combler le besoin; il est donc peu probable que vous ayez à en ajouter.
Cependant, pour les potagers et les plates-bandes de fleurs annuelles qui sont récoltées, autrement dit dès que l’on fait des récoltes importantes, il est possible d’avoir des besoins réguliers en phosphore.
Ceci dit, 80% du phosphore ajouté est inutilisé et devient un polluant important pour nos lacs et rivières#ref:179#. Le phosphore est essentiel, mais l’excès de cette ressource limitée nuit à la santé de la plante, à l’écosystème à l’environnement.
Une terre idéale devrait avoir au moins 30 ppm, mais pas plus de 70 ppm de phosphore. C’est une plage assez restreinte. Les adeptes des engrais (et du fumier), avec de bonnes intentions, dépassent régulièrement cette plage optimale, ce qui malheureusement a des conséquences plus graves que la simple dépense inutile.
Voici en gros ce qu’il faut retenir :
- Pour le phosphore, trop est aussi mauvais que pas assez
- Les carences sont plus souvent dues à un blocage de l’azote qu’à un manque
- Il est important de s’assurer d’en manquer réellement avant d’en ajouter
Devenez le maître du phosphore chez vous!
Cet article vous aidera à comprendre à quoi sert le phosphore et en quoi les excès sont néfastes. Vous pourrez apprendre à reconnaître les signes de carence et d’excès en phosphore, et les causes de sa non-disponibilité. Enfin, nous verrons les différentes sources de phosphore à notre disposition.
Le phosphore est un nutriment essentiel aux plantes
Sur l’étiquette de tout respectable producteur d’engrais, on voit trois chiffres qui montrent le contenu N-P-K (N pour azote, P pour phosphore et K pour potasse). Il est donc évident que le phosphore est important pour le développement des plantes; il fait partie de 17 éléments essentiels. Le manque de phosphore est un problème sérieux.
À quoi sert le phosphore dans la plante
Le phosphore permet à la plante de transporter l’énergie dans les cellules et de faire la division de cellule. Sans phosphore, pas de croissance. Le phosphore est un composant essentiel des acides nucléiques (donc de l’ADN) de la plante. Il fait également partie de l’ATP (adénosine triphosphate)#ref:182#. L’ATP fournit l’énergie nécessaire aux réactions chimiques nécessaires à la plante. Sans ATP, pas de photosynthèse. Finalement, le phosphore est un élément important des membranes cellulaires, il entre dans la formation des « gardiens » des membranes, les « phospholipides » qui décident quelles particules ils laissent entrer et sortir des cellules.
Le saviez-vous?
Le nom “phosphore” vient du grec et signifie “porteur de lumière”. Il évoquerait la planète Vénus. On attribuerait cette origine au fait que le phosphore blanc émet une lumière lorsqu’il est exposé à l’air#ref:63#.
C’est la même origine que « phosphorescent »!
Conséquence également sur notre santé
La carence en phosphore force la plante à libérer plusieurs éléments chimiques dont l’aluminium, le fer, les nitrites, bref tout un cocktail qui en trop grande quantité favorise les maladies de dégénérescence nerveuse telles que l’Alzheimer, la sclérose en plaques, etc.#ref:181#. Donc, cultiver sur une terre dont le phosphore requis ne serait pas disponible est à la fois décevant pour les récoltes et dangereux pour la santé.
L’excès de phosphore est dommageable à plusieurs niveaux
L’excès de phosphore est néfaste au développement des mycorhizes#ref:178#
Les mycorhizes sont très utiles: ils aident les plantes à se pourvoir des nutriments de la terre, particulièrement les éléments difficiles à extraire et encore plus particulièrement, le phosphore.
L’excès de phosphore nuit à la santé et au développement des mycorhizes et en plus, il pénalise fortement la symbiose entre les mycorhizes et la plante. Pour la majorité des plantes (voir Exceptions), les mycorhizes font des merveilles, ils augmentent la capacité des racines à absorber les minéraux, ils protègent les plantes de plusieurs maladies fongiques (incluant : mildiou, fusarium, sclérotine, etc.) et aident aussi l’environnement en absorbant beaucoup de CO2. Seulement, l’excès de phosphore disponible vient priver la plante de tous ces avantages.
Exceptions: certaines cultures ne bénéficient pas de la symbiose avec les mycorhizes du commerce. Parmi les familles de plantes les plus populaires au jardin, citons : brassicacées, chénopodes, éricacées.
Figure 4 – Bleuet, de la famille des éricacées
L’excès de phosphore peut provoquer de la chlorose
La chlorose des feuilles est due à une carence de la plante en fer et en manganèse. Cependant, cette carence n’est que rarement le résultat d’un manque de minéraux dans le sol. Habituellement, celle-ci est plutôt due à un excès de phosphore (qui monopolise l’absorption des racines)#ref:178#.
Note : il arrive aussi que la chlorose soit due à un pH trop basique, surtout dans le cas des plantes acidophiles.
L’excès de phosphore est très polluant pour nos lacs et rivières
Le phosphore en surplus sera éventuellement drainé par les pluies et viendra enrichir nos lacs et rivières, phénomène dommageable appelé « eutrophisation de l’eau ». L’excès de phosphore et d’azote dans l’eau nourrit les algues à l’excès, ce qui cause de graves carences en oxygène dans l’écosystème et donc, tue la biodiversité dans nos lacs et cours d’eau. Ce phénomène est tellement dommageable pour les animaux qu’il peut même rendre les cours d’eau impropres aux activités de baignade.
« L’utilisation de cet engrais est abusive. Jusqu’à 80 % des épandages de phosphore s’échappent vers les cours d’eau de surface, par ruissellement. Irrécupérable. »
Rachel Brillant#ref:179#
On croit à tort que sur notre petit jardin, un excès de nutriments n’aura pas grand impact sur l’écologie. Mais saviez-vous qu’en moyenne, les jardiniers urbains utilisent 3 fois plus d’engrais que les agriculteurs de grandes surfaces? Nous sommes donc collectivement responsables d’une certaine forme de pollution, notamment pour le fleuve Saint-Laurent où les taux d’oxygénation sont extrêmement critiques, et l’excès d’utilisation de phosphore en est un contributeur important.
Le phosphore minéral est une ressource limitée dont la pénurie est attendue dans un futur rapproché.
Les bactéries sont beaucoup plus habiles que les humains et les plantes à extraire le phosphore du sol. Pour produire le phosphore minéral qui est ajouté en engrais dans les grandes cultures, nous devons utiliser l’apatite. Or, l’apatite est un minerai relativement rare. Au rythme actuel d’utilisation, on s’attend à un déclin d’ici vingt ans et à une pénurie complète de la ressource d’ici 50 à 100 ans. Comme le phosphore est nécessaire au rendement des grandes cultures et donc essentiel à la façon actuelle dont on nourrit une grande partie de la population, la rareté de la ressource pourrait entraîner de graves conflits dans l’avenir.
Il n’y a aucune mine d’importance au Canada, celles-ci sont concentrées au Maroc, en Chine, aux États-Unis et en Afrique du Sud#ref:179#. Puisque le phosphore est essentiel au rendement des cultures à grande échelle et que celles-ci sont reliées à la capacité de nourrir une population grandissante, il est plausible de penser que cette ressource pourrait être à l’origine de futurs conflits armés.
Les signes d’un manque de phosphore
Commençons par la plante.
Les plantes qui sont en carence de phosphore ont une croissance ralentie (ou arrêtée, en cas de grave carence). De plus, on voit sur les feuilles plus anciennes (celles à la base des tiges) que celles-ci deviennent plus foncées, souvent avec un teint bleuté ou marron.
Pourquoi sur les feuilles plus âgées?
Parce que le phosphore est l’un des nutriments mobiles, c’est-à-dire qu’il est tellement essentiel que la plante a développé la possibilité, en cas de carence, d’en déplacer les molécules là où il est le plus essentiel.
Pourquoi une teinte bleutée?
Lorsqu’une feuille n’a pas assez de phosphore, elle ne peut plus transformer les sucres en énergie; ceux-ci s’accumulent dans la feuille et donnent la couleur très foncée.
Autres signes?
On observe parfois, sur les vieilles feuilles d’une plante qui ont un grand déficit de phosphore, une teinte marron ou rouge. Il faut faire attention avec ce symptôme, car il peut être attribué à un grand nombre de facteurs de stress:
- Exposition à des températures trop froides
- Trop forte exposition au soleil
- Grignotage par un insecte nuisible
- Sécheresse prolongée
En fait, le feuillage rouge est plus souvent qu’autrement dû à des causes autres que le manque de phosphore.
Les plantes indicatrices de terre avec phosphore bloqué : les chardons et leurs cousins!
Il est fréquent qu’on observe des plantes en carence de phosphore alors qu’il y a suffisamment de phosphore dans le sol, parce que si les humains sont incapables d’extraire le phosphore du sol, la majorité des plantes sont également malhabiles à cette tâche sans l’aide des bactéries et de mycorhizes.
Ces organismes vous feront défaut si vous avez un sol compact et anaérobique.
Dans ces environnements, les plantes plus habiles à percer les sols compacts et à libérer le phosphore bloqué ont un avantage compétitif sur les autres plantes. Dans le cas des chardons et de leurs proches cousins, leur explosion dans les milieux où le phosphore est bloqué est aussi explicable parce que le manque de phosphore stimule la sortie de la dormance des graines.
Ironiquement, ces « chardons » possèdent de grandes quantités de phosphore qui deviendra disponible à leur décomposition et ont de puissantes racines, ce qui est également un allié pour décompacter le sol. Pour le jardinier patient, ces « mauvaises herbes » sont non seulement des indicatrices, mais également des travailleurs qui l’aideront à rétablir l’équilibre de phosphore et d’aération du sol. Normalement, une fois l’équilibre rétabli, ces plantes seront de plus en plus clairsemées sur vos terres#ref:181#.
Les plantes indicatrices sont du genre cirsium, carduus et carlina; ce sont toutes des astéracées dont la génétique et l’apparence sont très proches des carduus… les vrais chardons.
Les causes de blocage du phosphore dans le sol
On l’a vu, la plupart des plantes dépendent des bactéries et des mycorhizes pour leur apport en phosphore. Donc, pour rendre le phosphore disponible, il suffit de favoriser leur croissance.
Décompactez et drainez votre sol
Utilisez la grelinette ou une bêche pour décompacter le sol. Ajoutez de la matière organique, de la vermiculite ou de la perlite, et surélevez vos planches.
Évitez les surplus d’azote
Les surplus d’azote provoquent des présences accrues de nitrites qui favorisent le sol anaérobique. On cherche à conserver un ratio carbone / azote d’au moins 10.
Vérifiez le pH de votre sol
Un sol trop alcalin ou trop acide peut bloquer le phosphore dans le sol et conduire à des carences dues au blocage.
Les signes sont unanimes, il manque de phosphore; est-ce grave?
La bonne nouvelle est que les symptômes liés au manque de phosphore, la croissance ralentie, la teinte bleutée, partiront tout seuls lorsque la carence sera comblée.
Cependant, le blocage du phosphore dans le sol est un symptôme d’un écosystème déficient. Vos cultures seront promptes à de nombreux problèmes et vos récoltes seront potentiellement néfastes pour votre santé à long terme. C’est pourquoi s’intéresser au possible blocage du phosphore dans le sol, qui est la cause la plus fréquente de carence, est important.
Source de phosphore
Mycorhizes et inoculant bactérien
Ce sont de grands alliés pour libérer le phosphore et il n’y a pas de contre-indication à leur surutilisation, si ce n’est que leur coût.
Le compostage et paillis
On l’a dit, le phosphore est un élément essentiel à toutes les plantes. Leur compostage retourne le phosphore à la terre de façon progressive et sécuritaire.
Urine
Eh oui! Un peu rebutant, mais de plus en plus populaire: l’urine est un engrais gratuit et riche non seulement en phosphore, mais aussi en azote.
Comme pour le fumier, l’urine est très puissante, trop pour être utilisée telle quelle. Il faut la diluer à un ratio de 10%. On peut aussi mettre l’urine dans le compost, pour en accélérer le processus tout en diluant l’urine.
Normalement (à moins d’infection urinaire), l’urine fraîche est relativement stérile et sans odeur, mais ne la laissez pas vieillir, car elle est également nourrissante pour des bactéries pathogènes qui produisent l’odeur désagréable.
Il y a bien évidemment une certaine variabilité sur le contenu de votre urine, mais en moyenne on considère l’urine comme 11-1-2 donc elle contient en moyenne 1% de phosphore#ref:129#.
Fumier
Tous les fumiers contiennent d’intéressantes quantités de phosphore. D’ailleurs, jusqu’en 1960, le fumier était la principale source de phosphore dans les cultures. Aujourd’hui, il ne compte plus que pour 20% des apports.
De loin, les fumiers les plus riches en azote sont ceux des volailles, qui sont également parmi ceux qui ont les meilleurs ratios C/N avec les fumiers de bovins laitiers#ref:183#.
Bien que naturel, le fumier en excès est aussi dommageable. Il peut brûler des cultures et est un grand contributeur à l’eutrophisation des milieux aquatiques.
Il est intéressant de composter son fumier et d’ajouter de la paille pour augmenter le ratio carbone /azote (voir Cause du blocage du phosphore dans le sol).
Poudre d’os
La poudre d’os est fréquemment vendue aux jardiniers parce qu’elle fait très souvent partie des recommandations des centres d’horticultures, notamment pour les roses, les arbustes et les plantes ornementales. Il est exact que c’est une bonne source de phosphore et de calcium.
La farine d’os a cependant tendance à attirer plusieurs animaux (chiens, moufettes et ratons laveurs) qui vont déterrer vos plants pour manger la farine.
Phosphore inorganique
Il provient de l’apatite, un type de roche. Il est absorbé par la surface de l’argile et de la matière organique. C’est une ressource rare et précieuse.
Des lectures pour aller plus loin
Vous voulez approfondir vos connaissances pour mieux prendre soin de vos plantes et être moins facilement influencé par le marketing des fournisseurs d’engrais? Voici 3 excellents livres bien complémentaires les uns des autres.
The Informed Gardener: Un excellent livre, malheureusement seulement disponible en Anglais. Il se lit comme un roman policier. L’auteure est succincte, elle explique les mythes, ce qui est appuyé par la science et comment aider nos vivaces à être plus prospères chez nous.
Grâce à ce livre, vous ferez des économies d’argent et de temps et surtout, vous comprendrez comment prendre soin de l’écosystème au-delà des croyances et des mythes.
Attention, ce livre ne discute que des plantes vivaces, des arbres et des arbustes.
Vous aimez le style de l’auteure, Linda Chalker-Scott? Suivez-la sur son blog: Horticultural Myths
L’encyclopédie des plantes bio-indicatrices: Un autre grand livre de Gérard Ducerf. C’est bel et bien une encyclopédie, en 3 volumes, dont la majeure partie (environ 80%) est une présentation des différentes plantes bio-indicatrices, mais au début de chaque volume nous avons droit à un super cours sur les plantes et leurs interactions avec le sol et les milieux naturels et artificiels. C’est une bible pour les permaculteurs et tous les amis des sols sains et équilibrés.
Cette encyclopédie est certes dispendieuse, mais c’est un investissement!
Teaming with Nutrients: Ce livre en anglais est probablement celui qui offre la lecture la plus dense. Vous aimeriez connaître comment fonctionne une plante au niveau moléculaire, et vous n’avez pas peur de la biochimie? C’est un bon livre pour vous.
Vous aimez l’auteur ? Sachez qu’il a également écrit: Teaming with Microbes, Teaming with Fungi et Teaming with Bacteria.
Crédit photo
Page titre: elizabeth lies